Les villes intermédiaires : un pont entre le monde rural et le monde urbain

Publié le 03/09/2025
Image

Durant des années, le développement des métropoles était synonyme de développement territorial. 
Depuis la pandémie de COVID-19, ces villes de taille moyenne reviennent peu à peu au cœur du jeu. 
L’OCDE a souhaité leur consacrer une étude inédite, à la demande de la Commission européenne : « Libérer le potentiel des villes intermédiaires pour le développement régional dans l’Union européenne ».
Dans cette interview croisée accordée à l’ANCT, Soo-Jin Kim, cheffe adjointe de la division des villes, des politiques urbaines et du développement durable à l’OCDE, Dominique Consille, directrice des programmes ACV et PVD à l’ANCT et Luc Faraldi, coordinateur des politiques internationales au sein de l’agence, reviennent sur les enjeux du projet. Ensemble, ils en précisent les contours, les objectifs, et évoquent les spécificités du programme Action Cœur de Ville.

ANCT : À la demande de la Commission européenne, l’OCDE a lancé un projet intitulé « Libérer le potentiel des villes intermédiaires pour le développement régional dans l’Union européenne ». Pourquoi un tel projet ? Et quels sont les objectifs poursuivis ?

Soo-Jin Kim : Ce projet part d’un constat simple : les villes traversent aujourd’hui des mutations profondes - écologiques, démographiques et numériques - qui ont des impacts différents selon le type de territoires. 

Par ailleurs, en 2019, les ministres en charge de la politique dans tous les pays membres de l’OCDE avaient adopté 11 grands principes qui visaient à guider les politiques urbaines. Cinq ans après, nous faisons le point sur les meilleures manières d’appliquer ces Principes pour favoriser un développement urbain durable, inclusif et résilient. Par exemple, comment exploiter pleinement le potentiel de toutes les villes, qu’elles soient grandes ou petites ? Comment tirer le meilleur parti possible des liens entre espaces urbains et ruraux ? Les villes intermédiaires, justement situées entre ces deux mondes, apportent quelques éléments de réponse.

Avec l’étude lancée il y a un an, nous avons voulu examiner le rôle des villes intermédiaires dans leur environnement régional, et plus particulièrement, leur fonction de « passerelle » entre zones urbaines et rurales. Nous avons donc identifié huit fonctions clé que les villes intermédiaires peuvent jouer, notamment en tant que pôles de services publics, de santé, d’éducation ou d’emploi, ou encore en matière de vitalité culturelle. 

Dans cette optique, nous menons une étude sur deux ans en nous appuyant sur des données récoltées auprès de l’ensemble des pays de l’Union européenne, mais aussi d’autres États membres de l’OCDE. La première année a permis de mener une vaste analyse statistique : comment chaque pays définit-il ses villes intermédiaires ? 
Comment se comparent-elles en termes de performance ? L’objectif était de dresser un panorama clair et partagé. Nous entrons à présent dans la seconde phase, axée sur les politiques publiques. Pour cela, nous avons lancé six études de cas sur le terrain, afin de compléter les données chiffrées par une approche plus qualitative. L’idée est de comprendre comment les pouvoirs publics accompagnent ces villes dans leur rôle moteur, et comment ces dernières peuvent contribuer à un développement plus équilibré des territoires.

Pour la France, l’OCDE a choisi d’analyser le déploiement du programme Action Cœur de Ville dans la ville de Valence. Qu’est-ce qui en fait une source d’inspiration intéressante à l’échelle européenne ?

Dominique Consille : Le programme Action Cœur de Ville a été pensé pour accompagner les villes moyennes. Parce qu’elles assurent une fonction de centralité, on y trouve lycées, hôpitaux, services publics, équipements culturels ou encore de nombreuses PME et PMI. Elles irriguent ainsi l’ensemble des territoires environnants mais peuvent être confrontées à une perte d’attractivité. C’est pourquoi l’Etat a fait le choix de les soutenir sur plusieurs fronts : la rénovation des logements, le commerce, la mobilité, les services publics, la valorisation et la rénovation du patrimoine, la préservation des espaces naturels et l’accès aux soins…

Le choix de l’OCDE de se pencher sur le soutien apporté à la ville de Valence reflète une volonté d’analyser la mise en œuvre du programme Action cœur de ville, qui s’appuie sur un projet de territoires et mobilise de nombreux partenaires publics et privés.

Soo-Jin Kim : Plusieurs aspects du programme Action Cœur de Ville ont retenu notre attention.

D’abord, l’accompagnement de projets portés localement par les élus, et soutenus par une stratégie nationale. Ensuite, son approche multisectorielle, qui traite à la fois de logement, de commerce, de mobilité, de services publics et de patrimoine.

Nous avons également été sensibles à la gouvernance du programme qui associe différents niveaux de l’administration (État, collectivités, intercommunalités) et différents partenaires financiers (Banque des Territoires, Action Logement ou l’ANAH). Notons que les conventions sont signées avec les intercommunalités (EPCI), ce qui permet de dépasser le strict périmètre communal pour penser la ville moyenne dans son écosystème territorial. 

Enfin, le programme a suffisamment d’ancienneté pour permettre un premier retour d’expérience. 

Luc Faraldi : La France présente une particularité unique en Europe : elle compte près de 35 000 communes, un cas sans équivalent. Dans ce maillage très dense, les villes moyennes occupent une position stratégique. Elles sont souvent entourées de territoires ruraux composés de très petites communes, qui ne disposent pas des ressources nécessaires pour offrir un niveau de services comparable.

Valence a été choisie pour illustrer l’action du programme ACV. Quelles actions celle-ci a-t-elle mis en place ? 

Soo-Jin Kim : Nous avons passé deux jours à Valence, au cours desquels nous avons rencontré l’ensemble des parties prenantes : les partenaires, la préfecture, ainsi que tous les acteurs engagés dans les fonctions essentielles de la ville (services clés aux entreprises, services publics, santé, transports, logement, culture, savoirs, commerce de proximité).

À l’issue de notre visite, deux thématiques ont particulièrement retenu notre attention :

•    Le commerce, domaine dans lequel l’action municipale s’est révélée particulièrement dynamique : accompagnement des entrepreneurs, organisation d’ateliers à destination des commerçants, recours au droit de préemption commerciale pour favoriser le retour d’activités en centre-ville, publication d’un guide du commerce, etc.
•    La culture et le tourisme, deux politiques portées à l’échelle de l’agglomération Valence Romans, avec la création d’une agence de tourisme qui vise à réaliser la promotion de la ville via la marque « Mon cœur Valence ».

Dominique Consille : S’agissant du commerce, Valence s’efforce de préserver l’activité en centre-ville en intégrant des démarches de végétalisation et de renaturation. Un atout indéniable dans une ville du sud de la France, soumise à des températures élevées ! 
Elle a aussi pris à bras le corps la question de la réhabilitation des logements anciens en cœur de ville, en étroite collaboration avec l’ANAH et Action Logement.

Luc Faraldi : Par ailleurs, la réflexion menée par Valence en matière de mobilité et d’accessibilité est particulièrement intéressante. La ville a fait le choix d’implanter son centre de congrès en centre-ville, à proximité immédiate de l’une de ses deux gares. Elle développe également son port de tourisme, considéré comme le premier port de plaisance de France, dans une logique de circulation fluviale complémentaire avec le port marchand de Portes lès Valence. Parallèlement, elle valorise sa proximité avec l’autoroute comme un atout stratégique pour l’attractivité du territoire, tout en travaillant à sa meilleure insertion urbaine via la mise en place d’un corridor paysager.

Vous avez fait une visite de terrain à Brindisi en Italie, le 1er et 2 juillet derniers. Cette ville est également étudiée dans le cadre du projet de l’OCDE. Dans quelle mesure celle-ci a-t-elle nourri la réflexion de la France ? Quels enseignements avez-vous pu tirer ?

Dominique Consille : Lors de ma visite à Brindisi, j’ai été particulièrement intéressée par la façon dont les fonds européens y sont mobilisés et la manière dont ils parviennent à articuler efficacement financements publics et privés.

Un exemple frappant concerne un projet de tiers-lieu. La collectivité propriétaire des locaux a renoncé au loyer et a décidé de prendre à sa charge les frais d’électricité. En contrepartie, une structure privée anime le lieu et s’est engagée à proposer, gratuitement, des actions à destination de tous les habitants. Une formule originale qui permet de limiter les dépenses publiques tout en assurant des services pour la population qui s’appuient sur des initiatives privées.

Luc Faraldi : Historiquement tournée vers l’activité portuaire et la pétrochimie, Brindisi fait face à un déclin industriel. Pour rebondir, la ville mise désormais sur un tourisme raisonné, fondé sur la valorisation de son histoire (notamment la via Appia et le Fort rouge) en parallèle de l’activité générée par la présence d’une très importante base logistique de l’ONU sur son territoire. 

Cette stratégie rappelle d’ailleurs celle de Valence qui combine un développement en tant que hub tirant partie des voies de communications qui la traversent et la mise en valeur des différentes facettes de son patrimoine historique, culturel et gastronomique.

Partager via :

Haut de page