« Quels usages du numérique au service de la biodiversité ? » : regards croisés sur l’apport de la Fabrique prospective
De juillet 2024 à juillet 2025, la Communauté Intercommunale du Nord de La Réunion (CINOR) a participé, aux côtés de trois autres collectivités, à la Fabrique prospective « Quels usages du numérique au service de la biodiversité ? ». L’objectif : réfléchir à la manière dont le numérique peut contribuer à la préservation, à la gestion et à la connaissance de la biodiversité dans les territoires.
Dans cet entretien, Jean-Pierre Marchau, vice-président de la CINOR, et Yannis Jogama, chargé de mission nous présentent le déroulement de la Fabrique, les apports pour le territoire réunionnais, ainsi que le plan d’action mis en place pour protéger une biodiversité exceptionnelle, abritée dans un écosystème aussi riche que fragile.
ANCT : Présentez-nous la Communauté Intercommunale du Nord de La Réunion (CINOR) ?
Yannis Jogama : Nichée entre l’océan Indien et les contreforts des Hauts, la CINOR porte en elle les promesses d’un développement durable audacieux. Son atout majeur : une biodiversité exceptionnelle, protégée mais aussi fragile, qu’elle entend préserver grâce à une stratégie numérique novatrice.
L’intercommunalité entend concilier croissance et soutenabilité, à travers un écosystème technologique en pleine ébullition : incubateurs, projets de data center et acteurs de la French Tech.
Mais les défis restent entiers : manque de structuration des données, cloisonnement des acteurs, et nécessité de fédérer les usages numériques au service de l’environnement.
C’est dans cette dynamique que la CINOR a participé à la Fabrique prospective de l’ANCT « Quels usages du numérique au service de la biodiversité ».
Jean-Pierre Marchau : La Réunion est traversée par un réseau de rivières et de ravines qui abritent une biodiversité végétale et animale très riche.
Sur le territoire de la CINOR, bon nombre de ces ravines ont été endiguées dans les parties urbanisées, et le passage du cyclone Garance a amplifié le phénomène.
Comment dès lors préserver la richesse de cette biodiversité nichée au cœur d’un écosystème fragile ?
L’enjeu est d’inciter les élus à prendre conscience que cette biodiversité marine est un atout et non un frein et d’allier les exigences de développement du territoire et de préservation de cette biodiversité.
Quel est le lien entre numérique et biodiversité ?
Y.J. : Ce lien s’inscrit dans une logique de conciliation entre innovation et préservation. D’un côté, les outils numériques permettent un suivi plus fin des espèces, une cartographie des milieux sensibles et une meilleure coordination des données naturalistes. De l’autre, le numérique génère des impacts négatifs: consommation énergétique, sur-fréquentation de sites naturels via les réseaux sociaux, ou encore dépendance à des serveurs distants.
La CINOR cherche ainsi à reterritorialiser les solutions : création d’un data center local, structuration d’un écosystème d’acteurs via la Technopole, et développement d’applications pour sensibiliser sans impacter.
Le défi est double : faire du numérique un levier de connaissance et d’action en faveur de la biodiversité, tout en maîtrisant son empreinte écologique.
Il s’agit d’un équilibre subtil entre maîtrise technologique et responsabilité environnementale, au cœur des politiques publiques du territoire.
Comment s’est déroulée la Fabrique prospective « Quels usages du numérique au service de la biodiversité ? » sur votre territoire ?
J-P M : Les séminaires de travail nous ont permis de dresser plusieurs constats : l’importance de disposer d’un data center propre, l’intégration systémique des données de la biodiversité dans nos grilles de décision, le lancement de projets respectueux de la biodiversité, la consultation des riverains au préalable sur tout projet.
Quel est le plan d’action de la CINOR pour les temps à venir ?
Y.J. : Comprendre le lien entre numérique et biodiversité, c’est déjà entrevoir une nouvelle manière d’agir pour le vivant. À l’issue de la Fabrique Prospective, quatre chantiers structurants ont émergé pour la CINOR :
- La création d’un poste dédié à l’interface numérique-biodiversité ;
- BiodiverCité, une plateforme collaborative pour centraliser les savoirs et fédérer les initiatives ;
- Un programme de formation à l’attention des élus et des agents ;
- Une étude de préfiguration pour anticiper et structurer les projets à venir.
En s’appuyant sur une gouvernance renforcée et des synergies locales, ce plan vise l’efficacité opérationnelle et la montée en compétences.
La CINOR entend élargir son rayonnement à l’échelle de la zone océan Indien pour renforcer ses partenariats public-privé et bâtir un modèle durable et reproductible.
J-P M :L’un des enjeux majeurs pour la CINOR est d’assurer sa souveraineté énergétique. Cela passe par notre capacité à produire de l’énergie à partir de ressources locales.
Pendant des années, nous avons dépendu du charbon importé. Aujourd’hui encore, nous faisons venir des pellets de bois depuis l’Amérique. Pourtant, un potentiel existe ici même, au large de notre territoire : le BRGM a identifié une zone favorable à l’implantation d’éoliennes marines.
Avant d’aller plus loin, il est essentiel de disposer d’une cartographie précise de la biodiversité marine — encore largement méconnue à La Réunion. Ce travail est d’autant plus crucial qu’un tel projet représente un investissement conséquent. Il ne peut être envisagé sans une vision claire de ses impacts.
Des exemples comme celui de Saint-Nazaire, en Métropole, montrent que c’est possible. Mais pour avancer sereinement, nous devons d’abord mieux connaître notre environnement marin.
Qu’est-ce que l’ANCT a apporté à la CINOR ?
J-P M :Lors de ma première visite à l’ANCT en septembre 2024, j’ai découvert une équipe jeune, passionnée et engagée.
C’est un honneur pour la CINOR d’avoir été choisie pour intégrer la Fabrique Prospective. Comme nous sommes éloignés géographiquement, nous avons été particulièrement sensibles à cette démarche d’ouverture.
Notre ambition aujourd’hui : engager une transition écologique intelligente, en passant à l’action. Cela commence par la préservation de la biodiversité, avec le numérique comme levier.